jeudi 22 août 2013

L'Histoire et la condition humaine



 

L'entreprise visant à définir et à préciser les caractères de la condition humaine peut sembler bien difficile a priori, tant les traits qui caractérisent celle-ci sont nombreux et interdépendants, donc difficilement isolables. En fait, elle peut être menée à bien dès lors que l'on indique explicitement le niveau de généralité auquel on se situe. 


Le point de vue de JEAN-PAUL SARTRE

« L'Existentialisme est un humanisme » 

" S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de Sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent Sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient: L’homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être mortel... Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s'en accommoder. "[1]

Dans ce texte Sartre refuse une idée, celle d’une humanité inscrite dans une essence, donnée à la naissance : pour l’auteur il faut parler plutôt de condition universelle de l’homme.

Dans une deuxième partie il analyse cette universalité de condition selon deux points de vue - D’un point de vue objectif, la condition humaine ne tient pas à des situations historiques particulières mais à une situation universelle dans la mesure où tout homme rencontre des limites comme le travail, autrui, la mort… : sur le plan subjectif chaque homme par son projet tente d’assumer ses limites en les refusant, les acceptant ou les dépassant, ce qui fonde une intersubjectivité et donc une compréhension d’autrui toujours possible.

En suivant, la rigueur des enchaînements, l'articulation de la démonstration, il en découle que :

  • Que l'existence précède l'essence, cela signifie que l'homme commence à exister avant d'être ceci ou cela, qu'il est toujours par- delà l'essence et que, n'étant pas déterminé par elle, il est liberté.
  • Parce que l'existence est d'abord projet, c'est le futur qui donne sens à mon action présente et à ce qui sera mon passé.
  • Comme l'existence est choix, elle est du même coup responsabilité totale de ses choix, actes accomplis ou valeurs qui l'orientent.

Les variations et le changement des situations historiques modifient-ils ou non la condition humaine ?

« L'entreprise visant à définir et à préciser les caractères de la condition humaine peut sembler bien difficile a priori, tant les traits qui caractérisent celle-ci sont nombreux et interdépendants, donc difficilement isolables. En fait, elle peut être menée à bien dès lors que l'on indique explicitement le niveau de généralité auquel on se situe. Sartre, pour sa part, récuse d'emblée l'idée d'une essence universelle, signalant par là qu'il n'entend pas définir jusque dans ses moindres détails un ensemble de propriétés stables (une « essence ») qui réglerait, comme dans les conceptions essentialistes traditionnelles, le devenir humain.

Il ne s'engage donc que dans une caractérisation générale de la condition humaine, insistant surtout sur deux aspects-clés de cette condition : comme être vivant, l'homme doit mourir, et son activité se déploie en une « présence au monde » (qui implique sans doute, pour Sartre, conscience d'être au monde et conscience de soi) ; comme être de culture, l'homme doit travailler et vivre en société. On le voit, ces déterminations sont si générales qu'elles peuvent être reconnues comme universelles, et conciliées avec les différences propres à la diversification culturelle qu'un simple examen des données sociales et historiques met en évidence.

D'ailleurs, parler d'« esquisse » d'une « situation fondamentale dans l'univers », c'est souligner le caractère inachevé, riche de virtualités et d'ouverture, qu'un tel statut donne à l'homme, pensé dans sa différence spécifique par rapport à l'animal. Il reste qu'on peut se demander si la variation des situations historiques n'a aucune incidence essentielle sur un tel statut. On devine en effet qu'une telle variation ne peut, selon Sartre, modifier les traits fondamentaux de la condition humaine, même si, de toute évidence, elle différencie les êtres ou les types de réalisation existentielle (chaque culture, par exemple, engendre ses propres valeurs et, par-delà, des « modèles de comportement » voire, selon le concept du sociologue Kardiner, une « personnalité de base »).

C'est donc à ce niveau que la thèse de l'auteur peut être discutée ou nuancée. Si l'on reprend les déterminations biologiques, on remarque que la mort, certes, est le lot de tout être humain. Mais il faut tout de suite dépasser une affirmation aussi banale pour remarquer que la situation de chacun en face de la mort varie considérablement en fonction des données sociales. »[2]

« D’un point de vue objectif, la condition humaine ne tient pas à des situations historiques particulières mais à une situation universelle dans la mesure où tout homme rencontre des limites comme le travail, autrui, la mort…

Sur le plan subjectif chaque homme par son projet tente d’assumer ses limites en les refusant, les acceptant ou les dépassant, ce qui fonde une intersubjectivité et donc une compréhension d’autrui toujours possible.

Le problème et les enjeux : L’existentialisme est une réflexion sur l’existence humaine qui pour Sartre est avant tout liberté. Pour l’homme, « l’existence précède l’essence », car une personnalité n’est pas construite sur un modèle dessiné d’avance et pour un but précis car c’est moi qui choisit de m’engager dans telle entreprise. Ce n’est pas que Sartre nie les conditions contraignantes de l’existence humaine, mais il répond à Spinoza qui affirmait que l’homme est déterminé par ce qui l’entoure. »[3]

RD

La technique et la condition humaine



  • Attention : il s'agit bien ici de la technique en général, et sous tous ses aspects;

  • Si l'on examine la possibilité d'un changement de la condition humaine, c'est que celle-ci n'est pas figée une fois pour toutes, ce qui implique une mise en cause de la notion de nature humaine;

  • On n'hésitera pas à considérer que le changement a bien eu lieu.

Conserver l'outil, c'est pouvoir et prévoir sa réutilisation, c'est donc se projeter dans l'avenir et ne plus être figé au piquet de l'instant. L'homme est "faber" avant d'être "sapiens" selon Bergson.


Du point de vue de Bergson: à quelle date faisons-nous remonter l'apparition de l'homme sur la terre ? Au temps où se fabriquèrent les premières armes, les premiers outils. On n'a pas oublié la querelle mémorable qui s'éleva autour de la découverte de Boucher de Perthes dans la carrière de Moulin-Quignon. La question était de savoir si l'on avait affaire à des haches véritables ou à des fragments de silex brisés accidentellement. Mais que, si c'étaient des hachettes, on fût bien en présence d'une intelligence, et plus particulièrement de l'intelligence humaine, personne un seul instant n'en douta.

Ouvrons, d'autre part, un recueil d'anecdotes sur l'intelligence des animaux. Nous verrons qu'à côté de beaucoup d'actes explicables par l'imitation, ou par l'association automatique des images, il en est que nous n'hésitons pas à déclarer intelligents ; en première ligne figurent ceux qui témoignent d'une pensée de fabrication, soit que l'animal arrive à façonner lui-même un instrument grossier, soit qu'il utilise à son profit un objet fabriqué par l'homme. Les animaux qu'on classe tout de suite après l'homme au point de vue de l'intelligence, les Singes et les Éléphants, sont ceux qui savent employer, à l'occasion, un instrument artificiel. Au-dessous d'eux, mais non pas très loin d'eux, on mettra ceux qui reconnaissent un objet fabriqué : par exemple le Renard, qui sait fort bien qu'un piège est un piège.

Cette relation entre la technique et la condition humaine va être reprise plus loin. C'est l'exploitation de ce filon de la connaissance qui, finalement, sera à l'origine des brusques évolutions « culturelles » qui vont transformer l'existence humaine, jusqu'à celle que l'on connaît maintenant au XXIe siècle.

RD

Le bonheur et la condition humaine





La sagesse humaine ne consisterait-elle pas à apprivoiser, harmoniser cette dualité fondamentale de notre être ? 

La question du bonheur[1] semble être centrale dans l’existence humaine. De nombreux philosophes s’accordent pour reconnaître que le bonheur est l’aspiration fondamentale de l’homme et le but de toutes ses actions.  Aristote disait dans « Éthique de Nicomaque » que « Tous les hommes aspirent à la vie heureuse et au bonheur, c'est là une chose manifeste. ». Aristote, dans cet ouvrage, cherche ce qu’est le souverain Bien, c’est-à-dire le bien suprême que l’on recherche pour lui-même. Et pour lui, tous les choses recherchées telles que la gloire, la richesse, etc… ne le sont pas pour eux-mêmes mais toujours en vue du bonheur. Pourtant, si tous les philosophes reconnaissent cette quête du bonheur, leur accord s’arrête là.

Comme le remarquait Sénèque dans « De vita beata », « Dans la vie, c'est le bonheur que veulent tous les hommes ; mais s'agit-il de voir nettement en quoi consiste ce qui peut réaliser la vie heureuse, ils ont un nuage devant les yeux. » Qu'il s'agisse d'un état de satisfaction durable ne nous aide pas, tant que nous n'arriverons pas à définir ce qui peut nous satisfaire. Ainsi, le philosophe latin Verron, dans son traité sur « La philosophie », dénombrait ainsi pas moins de 248 définitions différentes du bonheur.  De manière commune, on reconnaît dans le bonheur un état de sérénité, de paix assez durable et stable. Le bonheur se définit généralement comme un état de satisfaction complète et de plénitude. Il est donc distinct du plaisir, bien-être agréable essentiellement d'ordre sensible. Le premier correspond à un repos complet et se donne comme éternité. On ne peut concevoir un bonheur qui ne durerait qu'un bref instant. C'est le plaisir qui appartient à l'ordre du temps : il est marqué par une durée. Le bonheur est aussi distinct de la joie. 

Elle représente comme l'a vu Spinoza, un passage d'une perfection moindre à une perfection supérieure, un état où la puissance d'action de mon corps est augmentée.

Or, traditionnellement, le bonheur n'est pas un mouvement, il est statique telle la béatitude du sage. Le terme « incompatible » désigne une impossibilité à lier deux termes ou deux objets ensembles. On parle d’incompatibilité entre des personnes quand ces dernières ne peuvent pas s’entendre ni coexister. Il s’agit donc de savoir ici si le bonheur, cette plénitude peut coexister et se réaliser avec la condition humaine.

Mais que peut-on ajouter au discours sur la condition humaine ? L’expression désigne la situation dans laquelle l’homme est placé de par sa nature mais aussi de par celle du monde qui l’environne et dans lequel il évolue. Or la condition humaine semble se caractériser par la faiblesse et la finitude. Est-il alors possible de goûter cette sérénité nécessaire au bonheur avec l’idée de la mort et des dangers du monde ? L’idée de bonheur n’est-il pas plutôt dédiée aux Dieux ? Cependant, n’est-il pas possible de considérer un espace où l’homme puisse affronter le monde sereinement, sans crainte ? L’ataraxie[2] que cherchent les Stoïciens est-elle possible à réaliser ? Enfin, on peut se dire que c’est la condition même de l’être humain qui donne corps à l’idée de bonheur.
RD

[2] L’ataraxie désigne la tranquillité de l’âme résultant de la modération et de l’harmonie de l’existence. Elle devient ensuite le principe du bonheur (eudaimonia) dans le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme. Elle provient d’un état de profonde quiétude, découlant de l’absence de tout trouble ou douleur. Cette notion apparaît à l'époque d'Épicure. C’est un état mental où l'on n'est pas atteint par ce qui se passe autour de nous, toutes les préoccupations nous semblent étrangères.

Énigmes concernant la condition humaine






Les penseurs de tous les temps ont cherché à résoudre les diverses énigmes concernant la condition humaine. La liste d’exemples ci-dessous démontre toute la pertinence et l’étendue de ces réflexions.

Anaximandre de Milet (610-547 av. J. C.) fait de l'indéterminé infini le principe de toute chose. Les formes viennent limiter cet infini indéterminé; c'est ainsi que l'être fini porte en lui la rançon de son existence : il est condamné à la mort.

Héraclite d'Éphèse (en Ionie) 540-480 av. J. C., disait que " lorsque meurt l'homme, il allume pour soi une lumière dans la nuit." Et encore : " il faut que l'homme espère, sinon il ne rencontrera jamais l'inespéré qui se trouve dans l'inexplorable et l'impossible… car des choses attendent les hommes après la mort, disait-il, qu'ils n'attendent pas, ni même n'imaginent."

Empédocle d'Agrigente , (Ve s. av. J. C.) soutenait que deux forces animent l'être, l'amour qui unit et la haine qui sépare… pensées reprises sous d'autres formes par des penseurs du XIXe comme Schopenhauer, Nietzsche et Freud .

Ces paramètres de la condition humaine sont encore aujourd'hui, pour tout être humain, un motif et une source inépuisable de réflexion : ils exercent sur lui une fascination telle que l'homme ne peut pas ne pas devenir effectivement un animal métaphysicien.

C'est d'ailleurs selon Bochenski, (La Philosophie Contemporaine en Europe, p.132 - ss, éd. Petite Bibliothèque Payot) "… le caractère commun fondamental des diverses philosophies de l'existence de notre époque." Il s'agit de philosophies qui s'élaborent à partir d'une expérience vécue appelée "existentielle". Chez Jasper, elle consiste dans une perception de la fragilité de l'être, chez Heidegger dans l'expérience de la marche à la mort, chez Sartre dans celle de la nausée."

" La vie d'un homme n'est qu'une lutte pour l'existence avec la certitude d'être vaincu " Pensées et Fragments, trad. J. Bourdeau (Alcan), Schopenhauer

" La vie est une ombre qui marche, un pauvre acteur qui se pavane et se trémousse une heure en scène, puis qu'on cesse d'entendre." Macbeth, William Shakespeare

" Voulez-vous que je vous dise pourquoi vous n'avez pas peur de la mort? Chacun de vous pense qu'elle tombera sur le voisin. " Goetz dans Le diable et le Bon Dieu, (Gallimard), Sartre)

" La faculté de penser ne se délègue pas. " Alain

" Apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots. " Martin Luther King

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